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Chronique de Jean Baptiste Placca: face à une inertie mortelle, le sursaut des médecins togolais
24 juin 2017   -   Par Kouamivi Sossou

« Les morts évitables, nous les subissons chaque jour et cela devient de plus en plus insupportable», tranche dans une lettre ouverte, un médecin excédé, en priant le ministre de leur épargner ses discours toujours très captivants et pleins de créativité, pour proposer des solutions aux maux du système de santé du pays. «Les Ghanéens ont un nouvel hôpital moderne, tout comme les Tchadiens, les Burkinabé, les Maliens, les Nigériens, les Sénégalais (….). Actuellement, ce sont les Ghanéens, ou les Maliens qui soignent nos patients souffrant de cancer, parce qu’ils ont les appareils de radiothérapie qu’il faut. Comme le CHU Sylvanus Olympio, bâti dans les années 50, les infrastructures hospitalières dont disposent tous ces pays datent des indépendances. Mais leurs gouvernements ont eu, pour leurs nations, de l’ambition, et mis en place des structures dignes de notre époque», conclut-il.

En moins de trois semaines, deux médecins, professeurs agrégés, ont perdu la vie. Des morts, à la fleur de l’âge, qui, comme tant d’autres, auraient pu être évitées, si le système de santé n’avait été en complète déliquescence, selon les termes d’un médecin, qui a décidé de rompre le silence. Par une lettre ouverte pour le moins accablante, et l’histoire se déroule dans un pays ouest-africain, qui aurait pu être un autre. Encore que…

Oui, encore que… Car, tout en décrivant le degré zéro du sous-équipement et de la déliquescence dans lequel il exerce, le médecin pamphlétaire indique les pays de la sous-région vers lesquels ils orientent ceux de leurs malades qui en ont les moyens, et qui y trouvent des installations propre à leur sauver la vie. Par déduction, l’on aurait donc fini par deviner que le cauchemar décrit a pour cadre le Togo. A quoi bon entretenir plus longtemps le suspense ?

Des malades qui perdent la vie chaque jour pour cause d’infrastructures défaillantes, les médecins de ce pays semblaient en avoir fait leur deuil. Mais voir, coup sur coup, deux professeurs agrégés de grande qualité disparaître, parce que l’hôpital n’est vraiment pas à la hauteur, a jeté, au sein du corps médical de ce pays, un malaise profond. Et, dans la lettre ouverte adressée par ce médecin à un de ses éminents confrères, qui se trouve être le ministre de la Santé, l’on entraperçoit une certaine colère.

Le Dr Koffi Takali dénonce à visage découvert. Lui, qui a fait le serment de sauver des vies, dit ne pas se résoudre à subir indéfiniment « des morts évitables ».

Que dit-il à son confrère, le ministre ?

« Votre nomination, le 23 juin 2015, à la tête du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, a suscité un grand espoir au sein de la communauté médicale. Votre réputation, votre connaissance du milieu hospitalier, la confiance de vos pairs, ont permis de penser que vous aviez les capacités pour réussir dans cette mission ardue de redynamisation du système de santé en complète déliquescence ». Ainsi débute la missive.

Il explique alors que les syndicats ont laissé au médecin-ministre deux années pleines, sans grèves, pour agir. Mais il n’en aurait rien fait, à part exhiber un projet de contractualisation, qui tarderait à voir le jour. Suit l’état des lieux : « Des hôpitaux toujours aussi mal équipés, des malades toujours aussi démunis, absence de transports médicalisés dignes de ce nom, laboratoires obsolètes, appareils de radiologie en panne, services des urgences démunis, réanimations n’existant que de nom. Bref, deux ans après, l’espoir a tour à tour laissé place à l’inquiétude, à l’interrogation, à la désolation puis à la consternation ».

Mais quels éléments avance-t-il pour corroborer une telle sévérité ?

C’est ici que surgit l’histoire tragique du professeur d’histologie embryologie, de génétique et de santé de la reproduction, le seul, encore en activité au Togo, jusqu’à son décès, le 29 mai 2017, dans sa 50e année. « Lorsqu’il a eu son malaise, aucun transport médicalisé n’était disponible pour son acheminement à l’hôpital. Il fut transporté en taxi, jusqu’au CHU Sylvanus Olympio, du nom du premier président, qui l’a construit, il y a bientôt soixante ans. Lorsque je parle de transport médicalisé, précise-t-il avec une pointe de perfidie, je fais référence à un véhicule de transport sanitaire muni du minimum pour commencer une réanimation (oxygénation, prise de voies veineuses, etc.). Je ne parle pas des véhicules des sapeurs-pompiers, qui ne sont guère plus équipés que ma voiture personnelle… ».

Qu’est-il advenu du pédiatre ?

Le professeur aurait eu « le privilège » d’être opéré par les collègues de neurochirurgie, qui, pour drainer et décomprimer son cerveau inondé par une hémorragie, lui ont mis une valve. Une fois opéré, impossible de faire un scanner de contrôle. Impossible de surveiller la pression intracrânienne du patient. Pas de neuro-réanimation. Devant une telle désolation, les options qui s’offraient aux médecins, pour sauver leur confrère, étaient de l’évacuer dans un pays où la réanimation est accessible, ou alors continuer à lui prodiguer des soins, sans pouvoir surveiller ses paramètres, face à une réanimation rudimentaire. « C’est dans ce contexte, écrit-il, que « Notre maître » rend l’âme, le dimanche 18 juin 2017, au CHU ».

Source: rfi.fr

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